• img
  • img
  • img
img
Atelier d'écriture Intéractif
Parce que chacun porte en soi une histoire, même brève, même vacillante.
Cet atelier est une invitation : à écrire sans chercher à bien faire, mais à dire vrai, à dire beau.

Vos mots sont les bienvenus.
PARTICIPER img imgPARTICIPER
img

En Attente de l'aube

Lutte et espoir sous les cieux de Kharkiv

Dans les rues jadis animées de Kharkiv, Sergeï et Kristina vivaient entourés de l'énergie tranquille de leur foyer, situé dans un quartier huppé de Kharkiv. Leur appartement, un véritable nid douillet, était jadis parsemé de plans architecturaux et de piles de livres de droit, témoins muets de leurs carrières florissantes. Sergeï, avec son œil pour le détail et sa passion pour les infrastructures, passait ses soirées, penché sur des esquisses de ponts et de bâtiments, tandis que Kristina, toujours plongée dans ses dossiers, défendait avec ardeur les droits de ceux qui ne pouvaient se défendre seuls.

Aujourd'hui, ce même appartement, autrefois rempli de rires et de projets d'avenir, n'est plus que ruines et désolation. Le souffle des explosions a éparpillé les rêves et aspirations comme des feuilles emportées par un vent cruel et inhumain. Les étagères qui abritaient des ouvrages de jurisprudence et des manuels d'ingénierie sont effondrées, leurs contenus mélangés indistinctement dans la poussière et les gravats.

Face à la brutalité de l'envahisseur russe, dont les actes barbares faisaient chaque jour la une des journaux locaux et mondains — viols, massacres et enlèvements d'enfants innocents —, Sergeï et Kristina ne pouvaient rester inertes. La décision de troquer leurs stylos et calculatrices contre des armes était aussi douloureuse qu'inévitable. Il ne s'agissait plus seulement de construire ou de plaider, mais de combattre pour préserver ce qu'ils avaient de plus cher : leur maison, leur liberté, leur dignité humaine.

Rejoindre l'armée fut un choix dicté par la nécessité, un cri du cœur face à l'impensable. En uniforme, les mains autrefois dédiées à la création et à la protection devenaient instruments de défense dans une chorégraphie macabre dictée par la guerre. Chaque jour au front, ils luttaient non seulement pour repousser un ennemi acharné, mais également pour protéger les souvenirs d'un passé que la guerre cherchait à effacer. Chaque mission accomplie, chaque tranchée occupée les ramenait, paradoxalement, un peu plus près de ce chez eux qu'ils espéraient retrouver intact, un jour, après la victoire.

Dans le vaste théâtre des opérations, entre les échos assourdissants des tirs et les cris de leurs camarades, Sergeï et Kristina se retrouvaient souvent épaule contre épaule, leurs regards échangés dans le tumulte devenant de précieux rappels de leur amour fusionnel. Ces moments de proximité, rares et fugaces, étaient leurs petites victoires contre la brutalité de la guerre, des instants de paix dans l'ouragan de fer et de feu qui les entourait. Ils savaient que chaque jour pourrait être le dernier, mais tant qu'ils étaient ensemble, ils avaient une raison de se battre, une raison d'espérer.

Chaque jour passé au front est une épreuve de résilience pour Sergeï et Kristina, un combat contre l'adversité qui va bien au-delà de la simple confrontation militaire. Le manque de munitions se fait cruellement sentir, les forçant à un calcul constant et angoissant de chaque tir effectué, chaque balle devenant un bien précieux dans cette guerre asymétrique. L'écho des bombes ennemies, lourd et menaçant, est une présence quasi constante, leur rappelant que le danger est toujours proche, toujours imminent.

La ville de Kharkiv, autrefois vibrante et pleine de vie, ressemble désormais à un champ de ruines apocalyptique sous le poids incessant des bombardements russes. Les bâtiments qui avaient résisté aux premières vagues d'attaques sont maintenant effondrés, leurs façades éventrées exposant les intérieurs dévastés à la vue du ciel gris de cendres. Les rues, jadis animées par le va-et-vient des citadins, sont désormais parsemées de débris et de cratères, témoins muets de la violence subie.

À cette vision de désolation s'ajoutent des nouvelles accablantes venant des villes voisines, apportées par des survivants échappés ou des communications interceptées par les forces de résistance. Chaque rapport est un coup de poignard supplémentaire pour le moral des combattants : les morts se comptent par milliers, et nombreux sont ceux parmi leurs camarades d'armes qui ont été capturés par l'ennemi. Ces nouvelles sont particulièrement terrifiantes, car elles sont accompagnées de récits glaçants sur le sort de ces prisonniers. Contrairement aux attentes dictées par la convention de Genève, les prisonniers de guerre ne bénéficient d'aucune clémence ni respect de leurs droits fondamentaux. Les récits de torture, d'exécutions sommaires et de mauvais traitements abondent, peignant un tableau sombre de ce que signifie tomber entre les mains russes.

Face à cette réalité brutale, Kristina et Sergeï, unis par l'amour et par le combat, ont pris une décision déchirante mais ferme. Conscients du destin tragique qui les attend s'ils sont capturés, ils se sont fait une promesse solennelle : plutôt que de subir l'humiliation, la torture ou un sort encore pire aux mains des russes, ils choisiront de mettre fin à leurs jours. Cette décision, lourde de conséquences, est le reflet ultime de leur désespoir et de leur détermination à maintenir une forme de contrôle sur leur destin dans un monde où tout semble s'effondrer autour d'eux.

Cette promesse, aussi macabre soit-elle, leur apporte un étrange sentiment de paix, la conviction qu'ils conserveront leur dignité jusqu'au bout. Dans les moments de calme, lorsque le bruit des explosions fait place à un silence pesant, ils se réconfortent mutuellement, se rappelant pourquoi ils se battent et l'amour qui les lie encore dans ce chaos. Malgré la noirceur de leur engagement, ils trouvent dans leurs cœurs la force de se battre avec plus d'ardeur, pour leur pays, pour leur liberté, et pour la mémoire de ceux qui ont déjà succombé.

Mais au-delà de la lutte quotidienne pour la survie, une colère sourde monte en eux. Ils ressentent un profond sentiment d'abandon, trahis non seulement par un pays voisin autrefois considéré comme frère, mais aussi par la communauté internationale. Leurs cœurs se serrent face à l'injustice de leur situation : des aides internationales promises arrivent toujours trop peu et trop tard, transformant chaque journée en un défi désespéré pour maintenir leurs positions avec des ressources insuffisamment renouvelées. La restriction de ne pas pouvoir riposter sur le territoire d'où proviennent les attaques les emplit d'une impuissance rageuse et d'une frustration dévorante.

Ils sont pris dans un conflit où ils se sentent non seulement physiquement en danger, mais également moralement et émotionnellement épuisés par les incohérences et les demi-mesures des réponses internationales. Ce sentiment d'injustice et d'abandon pèse lourd sur leurs épaules, testant leur esprit patriotique et leur foi dans la justice mondiale. Néanmoins, Sergeï et Kristina continuent de se battre, non seulement pour leur pays mais aussi pour l'honneur de ceux qui ont été perdus et pour l'avenir de ceux qui espèrent encore.

Un soir, alors que les bombes continuent de pleuvoir sur Kharkiv, Sergeï, Kristina et leurs amis d'armes se rassemblent autour d'un téléphone portable. Ils suivent anxieusement le vote du parlement américain concernant une aide financière de 61 milliards de dollars, promis mais jusqu'alors bloqués. L'attente est insupportable, chaque minute s'étirant indéfiniment.

Et puis, la nouvelle tombe. L'aide est acceptée. Un cri de joie s'échappe des lèvres fatiguées de ces combattants, un son si rare qu'il semble presque étranger dans le vacarme incessant des explosions. Ils s'embrassent, pleurent, rient – leurs émotions formant un mélange explosif d'espoir renouvelé et de soulagement. Pour un instant, la douleur de leurs blessures, la fatigue qui pèse sur leurs épaules semblent s'évanouir sous le poids de cette victoire morale.

Sous les bombes, dans la lumière crue des fusées éclairantes, ils célèbrent. Non pas la guerre, mais la solidarité, la promesse d'un soutien, la possibilité de tenir un peu plus longtemps. C'est une célébration de la vie dans l'ombre de la mort, un moment d'humanité au milieu de la destruction. Ils savent que la bataille n'est pas terminée, mais cette nuit, ils ont gagné quelque chose de précieux : l'espoir.

Alors que les premières lueurs de l'aube commencent à percer le ciel, Sergeï et Kristina se tiennent la main, leurs doigts entrelacés dans une promesse silencieuse. Peu importe ce que demain apportera, ils l'affronteront ensemble.

Commentaires

img
Alice , Genève - Suisse
24/04/2024 12:50:53
Ce récit m'a profondément émue. La manière dont Sergeï et Kristina se battent pour leur foyer et leur pays est vraiment inspirante. Leur détermination et leur amour sont des phares d'espoir dans la noirceur de la guerre. Merci pour cette histoire poignante.
img
Marc , Montréal - Canada
16/05/2024 22:59:41
J’ai lu des articles sur Me Iryna Venediktova. La description de la vie de Sergeï et Kristina avant et après le début du conflit est saisissante. On ressent vraiment le contraste entre leur vie passée et les horreurs qu'ils affrontent chaque jour. Ce récit montre avec force la résilience humaine face à l'adversité. J’aime bien. Et dire que beaucoup d’ukrainiens refusent d’aller combattre pour libérer leur pays. Surtout que plusieurs ont fui le pays et bronzent sur des terrasses européennes sirotant des cocktails hors de prix pendant que leurs compatriotes se battent pour libérer leur pays. Quel égoïsme ! Quelle honte !
img
Clara , Béziers - France
19/05/2024 18:00:49
Quel récit bouleversant ! La transformation de Sergeï et Kristina, de professionnels passionnés à combattants déterminés, est dépeinte avec une telle intensité que j'ai eu l'impression de vivre leurs émotions à leurs côtés. Leur promesse de rester dignes jusqu'à la fin, même face à l'horreur, est particulièrement touchante. Ce texte est un véritable hommage à la force de l'esprit humain et à l'amour inconditionnel.
img
Jean-paul , Martigny - Suisse
25/05/2024 13:02:11
Ce récit est une puissante illustration des effets dévastateurs de la guerre sur des vies ordinaires. La transformation de Kharkiv, de ville animée à champ de ruines, et la lutte quotidienne de Sergeï et Kristina pour survivre et protéger leur dignité sont décrites de manière poignante. La promesse qu'ils se font de ne jamais se laisser capturer vivants montre à quel point ils sont prêts à tout pour préserver leur humanité. Les détails de leurs batailles, les moments de répit, et la célébration de l'aide américaine sont autant de moments qui rendent ce texte incroyablement vivant et émouvant. Merci Madame Jacobson pour ce récit vibrant de courage et d'espoir. Si j’ai une critique à faire, c’est le fait d’avoir changé le nom de Iryna Venediktova dans le récit. Cela enlève toute la force du texte basée sur une histoire réelle qui se déroule actuellement à moins de 2000 km de chez nous.

Vous devez vous connecter pour commenter cet article Connectez-vous ou Créez un compte